Une guitare exceptionnelle
La guitare de ce mois est une véritable icône de la musique américaine, rien de moins. J'ai été plusieurs fois amené à effectuer ce travail sur ce genre de guitares, mais jamais sur une 000-45 de 1927! La faiblesse est connue, à force de traction des cordes sur le sillet de chevalet, la partie avant du chevalet assez fine n'arrive plus à retenir le basculement, elle se fend et finit par se casser. Aucune réparation ne tiendrait à cet endroit, la seule chose à faire est de refaire un chevalet à l'identique.
D'un point de vue conservation, cette guitare a malheureusement été revernie mais pas avec beaucoup de talent. Mais heureusement, aucun fond ou vernis polyuréthane n'a été utilisé pour cette restauration, et c'est une très bonne chose . (j'ai récemment vu une guitare romantique du XIX ème siècle entièrement revernie en polyuréthane , je peux vous dire qu'elle est foutue)
Je ne suis pas persuadé que les bindings en ivoroïd sont ceux d'origine, il manque le pickguard en écaille, on voit que de grosses réparations ont eu lieu à l'intérieur au niveau de certains barrages, mais dans l'ensemble même si ce n'est pas du travail de virtuose, la guitare n'a pas été dégradée d'une manière irréversible, et il serait encore temps de reprendre une partie du travail et ce vernis pour lui offrir une tenue digne de ce qu'elle est.
La table en Adirondack , le fond et les éclisses en palissandre de Rio, tout est là pour confirmer que cette guitare est bien d'époque, les marques à chaud "CF Martin" sont bien là et sont les vraies.
J'ouvre ici une parenthèse généraliste concernant les vernis sur les guitares américaines: J'ai compris sur le tard qu'utiliser des fonds polyuréthane au motif qu'il sont -soit disant- plus garnissant est une erreur, et à bien observer , et pour avoir décapé plusieurs anciennes guitares américaine, je n'ai jamais constaté qu'il existait différentes strates de vernis mais j'avais plutôt le sentiment d'être sur une seule et même matière. J'ai compris aujourd'hui comment m'y prendre et depuis j'obtiens les meilleurs résultats que je n'ai jamais obtenu. De plus dans le temps, il n'y a pas d'usure prématurée de la couche de finition, puisqu'à l'application elle fusionne avec les couches primaires au lieu de simplement s'accrocher dessus. Avec les années, l'usure qui dans le cas du polyuréthane s'apparente plutôt à une dégradation, devient charmante patine avec ma méthode, et surtout respecte les standards américains traditionnels. Et pour finir, je demeure convaincu que d'un point de vue sonore, la présence de produits bi-composants à catalyse est préjudiciable en comparaison des mono-composants qui sèchent par effet de désolvantation. Fin de la parenthèse.
Décoller le chevalet n'aura pas été très difficile, le seul inconvénient des chevalets en pyramide vient des pointes qui empêchent de bien plaquer le fer et donc chauffer la colle à travers le bois. mais on y arrive.
J'ai ensuite pris les cotes du chevalet décollé et établi des plans exacts. Cette opération a pour objectif évident de reproduire à l'identique, mais elle permet également de se mettre dans le bain, s'obliger à bien observer, appréhender les volumes et définir un ordre de travail. De plus, si un jour je suis amené à faire une réplique de cette guitare, j'aurai alors les éléments pour y arriver au plus proche.
Méritant le meilleur et le plus beau, je prends dans mon stock une pièce d'ébène âgée de plusieurs décennies et je commence l'ébauche.
Pour info, je travaille ce genre de pièces avec des lames de scies à métaux que je fais faire sur mesures, dont la denture plus fine que les lames de scies à bois ne provoque aucun éclat. Bien sûr avec de telles lames on ne peut pas refendre, mais pour débiter c'est parfait.
Pour travailler sur le chevalet en toute facilité, celui-ci est "ventousé" et maintenu uniquement par sa base par aspiration, j'ai ainsi tout l'espace que je veux pour sculpter mes formes sans être gêné par un étau ou des serres joints, ou sans être obligé de travailler une moitié puis l'autre (qui entre-temps est devenue plus fragile du fait de ses formes affinées)
mon chevalet fini, je passe à la réalisation de la saignée du sillet, toujours à l'aide d'aspiration qui me permet de maintenir mon gabarit en place tout en réglant au plus précis la position de mon entaille.
Le chevalet est collé, viennent les finitions et enfin la pose des cordes qui me permettront enfin d'entendre cette petite merveille bientôt centenaire !
Cerise sur la gâteau: cette signature au crayon à papier sous la table sur laquelle on peut lire JHON ou JHAM , 1927 et 1/6. Si vous avez un autre avis sur le nom lisible, n'hésitez pas à laisser un commentaire!
magnifique travail ! sur une magnifique guitare…