Un nouveau modèle pour finir 2023
Benjamin est client de l'atelier et c'est lui qui m'a demandé de créer cette nouvelle guitare folk qui serait une Dreadnought sans pour autant être une réplique Martin. Il voulait posséder une guitare haut de gamme, différente et inédite, qui aurait les même caractéristiques sonores que mes modèles grands formats mais qui offrirait un design sortant des sentiers battus du "trad" copié et recopié des millions de fois. Comme souvent dans ce cas, je l'ai invité à choisir lui-même ses bois dans mon stock parmi les dizaines de fournitures encore disponibles. Ce prototype est en palissandre de Madagascar -dont je vous laisse apprécier le ramage-pour le fond et les éclisses, en épicéa des Dolomites pour la table , en acajou du Honduras pour le manche et en ébène pour la touche et le chevalet.
Elle garde les mensurations des traditionnelles Dreadnought mais ses épaules sont moins carrées et sa taille plus creusée. Sa sonorité est de fait inchangée par rapport aux Dreadnought , elle offre des basses puissantes et dynamiques, des aigues fins et ciselées, et possède sustain, projection, basses, aigües dès son premier jour et par la suite, comme toutes les bonnes guitares, cette sonorité puissante gagnera en complexité, en expressivité , en modelé et en musicalité. Mais comme toutes les guitares, si elle ne sonne pas dès la première prise en main, ce ne sont pas des années de travail qui vont vraiment l'améliorer.
Une grande guitare se révèle dès ses premières notes, dès sa première heure de jeu, et l'argument qu'elle sonnera encore mieux une fois arrivé à la maison n'est que proportionnel à ce qu'elle offre lors de l'essai.
Pour illustrer au mieux comment je perçois ces guitares, je compare la Dreadnought à un grand piano a queue de concert, ample, souple, profond, aérien, puissant en comparaison à des OM ou des 000 qui seraient l'équivalent des pianos droits, plus raides, plus précis et plus incisifs.
Comme pour toutes les guitares issues de l'atelier, chaque pièce de bois qui entre dans sa composition est soigneusement scrutée, sélectionnée, parfaitement taillée et disposée à la place idéale. La colle utilisée est également choisi en fonction de la pièce et de son rôle dans l'instrument, aucun débordement n'est toléré et chaque collage est parfaitement nettoyé afin que l'intérieur soit aussi propre que l'extérieur.
Question vernis:
Pour les vernis, j'ai arrêté depuis longtemps d'utiliser des polyuréthanes en fondur sur les guitares acoustiques, c'était une hérésie héritée de fréquentations un peu trop imbues de leurs certitudes et qui ont généré des années de ce que je considère comme des erreurs, chez moi et chez d'autres, au motif que le fondur monocomposant serait moins garnissant que le bi-composant. Au final, utiliser du mono-composant du début à la fin permet d'avoir un ensemble de fines couches fusionnées entre elles plutôt que de se retrouver avec un mille-feuilles des couches posées les unes sur les autres et que ne se lient jamais vraiment. Les Polyuréthanes sont dans tous les cas des vernis qui durcissent par catalyse et non pas pas évaporation d'un solvant, qu'ils soient fonds ou finitions, et lorsque l'on est en présence d'une guitare ancienne, essentiellement de la famille des guitares américaines qui étaient elles même finies en mono-composants du début à la fin, on obtient un vernis qui s'est affiné avec le temps, qui s'est réduit dans les pores du bois jusqu'à devenir une couche extrêmement fine et à la patine incomparable. Les gens se plaignent assez régulièrement de la fragilité des vernis cellulosiques, mais c'est sur les guitares les plus chères du monde qu'on les retrouve, et je pense que ces vernis sont assez incompatibles avec une production de masse, d'où peut-être les problèmes que l'on peut rencontrer actuellement en industrie et avec ces vernis. Gibson malgré les récriminations récurrentes de ses clients n'est jamais passé à d'autres types de finitions, idem pour Martin, outre le fait qu'à leur niveau l'emploi de cellulosiques est un gain de temps et donc d'argent, je pense que c'est une bonne chose , et je préfère une guitare marquée plutôt qu'une coréenne ou une asiatique aussi clinquante et plastique qu'un synthétiseur. De plus, décaper pour le refaire une guitare acoustique vernis polyuréthane s'avère impossible tellement cette sous couche forme une croûte inattaquable, alors qu'un cellulo se détachera délicatement avec un décapant, voire il supportera un over-srpay ou refin qui viendra à son tour fusionner avec l'existant.
Assisté par Martin, l'apprenti compagnon du Tour de France de cette année à qui j'ai confié quelques bouches-pores et ponçages à effectuer sur cet instrument, il a été étonné de constater à quel point la caisse nue ne demandait qu'à résonner au moindre effleurement, à la moindre percussion.
Pour cela , la pièce majeur est la table d'harmonie en épicéa équipée de ses barrages, bois on ne peut plus commun à la base mais dont la sélection drastique en fait une pièce rarissime. C'est elle qui captera la moindre vibration transmise par la corde via le sillet en os et le chevalet en ébène. Tendue sur ses barrages, cette "peau" se met en mouvement un peu comme un caillou met en mouvement des séries d'ondulations sur une mare d'eau lorsqu'il tombe en son centre.
En effet, tout est fait pour que ces assemblages de bois forment un amplificateur de la moindre vibration provoquée par le plus fin effleurement de corde et c'est ce que je tiens à conserver jusqu'à la fin par l'application de vernis extra fins et légers.
Epicéa des Dolomites VS Sitka VS Adirondack VS Alaska VS Risoux VS Engleman ...
Choisir la provenance de son épicéa est une affaire personnelle de goût, d'habitude mais également d'utilisation musicale. Chacun d'entre eux possèdent des particularités qui vont être mises en valeur par le musicien, par son style, par son jeu. Chez moi, chaque table d'harmonie stockée est parfaite, mais chacune est différente, un peu comme une pré-équalisation qui verrait chaque curseur prédisposé dans une position déterminée. Mais la grande différence vient également de sa réaction au jeu, ainsi un dolomite produira tout de suite des basses et du son à bas volume alors que pour un sitka il faudra rentrer dedans un peu plus fort pour le remuer. En revanche, un sitka saturera moins vite et pourra être attaqué encore plus quand, à puissance de jeu égale, un dolomite se "tassera" plus rapidement, c'est à dire qu'il refusera d'aller plus loin qu'un certain volume (déjà bien au delà de ce qu'on peut rencontrer dans l'industrie ou dans la lutherie moins exigeante) Tout cela peut être modifié et adapté, affiné avec les épaisseurs de travail, la disposition et la taille et le cintre des barrages ainsi que le choix de leur croissance. Je trouve que le Dolomites à la particularité de sonner "tout de suite" et beaucoup plus rapidement qu'un Sitka ou un Adirondack. Cela n'empêchera pas qu'il continuera à évoluer rapidement au début et plus progressivement ensuite au fil des mois et des années. De ce fait, j'aurais tendance à réserver le Dolomite à un guitariste jouant plutôt en finesse, au doigt et au médiator, plutôt qu'à un cross ou un flat picker à l'attaque puissante et massive.
Comment je m'explique l'évolution des bois et d'une guitare:
Imaginez prendre un ressort sur lequel vous accrochez un poids: neuf, lorsque vous tirez dessus, le poids remonte et se stabilise rapidement. Puis à force de le solliciter, de le tendre et de l'étirer, ce ressort va acquérir de la souplesse, du rebond et de l'amplitude et votre ressort mettra de plus en plus de temps à revenir à sa position immobile. C'est comme cela que j'imagine une guitare, sauf que je ne le vois pas comme un ressort unique mais comme plein de ressorts de toutes les tailles qui symbolisent toutes les fréquences. Et c'est pour cela qu'on dit que c'est le musicien qui façonne son instrument, en allant justement solliciter certaines fréquences plus que d'autres, en jouant sur certains ressorts plus que sur d'autres en fonction de son style et de la puissance qu'il applique à ces "ressorts" . A la longue, il développera sa guitare en fonction de son jeu et lui donnera de l'ampleur, de l'amplitude, du rebond, du volume, du moelleux ou de l'attaque.
J'ai récemment reçu des jeunes luthiers à l'atelier qui m'ont appris qu'il existait des fonds dits "dynamiques". Pour moi un fond est toujours dynamique, et c'est même son rôle qui est de renvoyer comme un résonateur les fréquences générées par la table vers l'ouverture ou l'évent qu'est la rosace.
Evidemment il ne doit pas absorber ces fréquences et c'est également pour cela que le fond doit être accordé différemment de la table, pour ne pas se mettre à l'unisson avec elle et de ce fait favoriser et mettre en avant une fréquence particulière. C'est aussi pour cela que sa matière est primordiale sans pour autant atteindre l'impérieuse nécessité de perfection que doit avoir une table d'harmonie et j'en veux pour preuve qu'en matière de variété d'essences et visuelle, les fonds et éclisses offrent un choix beaucoup plus large que les tables d'harmonie dont les différences sont extrêmement subtiles et dont seul un amateur averti saura distinguer les nuances.
Palissandre de Madagascar: Ma perception
Sa principale particularité est d'être extrêmement dur. Mais dureté ne veux pas dire grand chose en soit et certains bois dits "durs" ne font pas de bonnes guitares. Je pense par exemple au hêtre, au chêne, platane, reconnus totalement impropres à une utilisation en lutherie même si ce sont des bois durs, mais je pense également à l'amourette mouchetée, à l'ébène qui eux sont utilisés pour des pièces non résonnantes (touches, chevilles, bindings etc) . Quant aux bois africains de type sapelli, ziricotte, je considère qu'ils ne font pas de bonnes guitares, juste éventuellement "belles" mais qui n'atteignent pas le stade de "grandes". Le Madagascar quant à lui, débité en feuilles dans les épaisseurs standards de la lutherie, offre une sonorité très claire et percutante que je compare à l'ardoise lorsqu'on le tapote du bout des ongles. Je connais cette sensation car à mon époque on apprenait à écrire à la craie sur des ardoises naturelles, et je peux vous garantir que ce son claquant, clair et précis est inoubliable pour qui l'a connu. Aucun autre bois de ma connaissance ne produit des sons aussi clairs et puissant. De ce fait, une guitare acoustique à cordes acier ( je ne maîtrise pas la construction de la guitare à cordes nylon car je ne gravite pas dans cet univers ni n'en écoute avec assiduité donc je m'abstiendrai de commenter) construite en Madagascar offre une clarté cristalline qui pourrait arriver à être acidulée mais qui, si elle est bien accompagnée d'une table légère aux basses profondes, offre une bande passante large qui vient habiller et atténuer les fréquences qui pourraient se révéler trop dures dans les aigües. De par ce même fait, on arrive également à obtenir pour une guitare grand format, une précision dans les aigües qui peut parfois faire défaut lorsqu'on utilise des bois plus traditionnels tels le palissandre indien ou le palissandre de Rio.
En vous souhaitant une bonne année 2024!
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